3 jours dans la nuit

3 jours dans la nuit

La crise des abus dans l’Eglise... Certains trouvent qu’on en parle trop, qu’il faut passer à autre chose... D’autres, au contraire, que le silence reste trop présent aujourd’hui encore, qu’on n’écoute pas assez les victimes, et même qu’on ne leur donne pas assez la parole pour que tous sachent et entendent... D’aucun pensent qu’au fond rien ne changera... Et encore, si ce n’était que l’Eglise, se défendent certains ou s’affligent d’autres...

Isabelle Chartier Siben est victimologue – elle est docteur en médecine, spécialisée en psychologie et victimologie. En 2022 elle a co-fondée l’association « C’est à dire » qui vient en aide aux personnes victimes d’abus et d’attentats. Elle accompagne un certain nombre d’entre elles et elle intervient auprès d’autorités civiles et d’instances ecclésiales, pour des conférences ou de l’aide à la prise en compte de la parole des victimes et des conséquences à la mise en mots de ce qui a été subi.

Comment donner à entendre ce qu’on vécu les victimes d’abus de tous genres, comment donner à comprendre un peu les mécanismes de « déni inconscient » et ensuite d’advenue à la parole, la prise de conscience de ce qui a été subi, de ce que cela a entraîné pendant tant d’années, jusque dans des choix de vie qui semblent assumés mais qui s’en trouvent ébranlés ; comment entendre l’effondrement que la mise en mot provoque – psychologique mais aussi physique, parfois, ou spirituel voire vocationnel – et comment accompagner alors ? C’est tout le travail qu’Isabelle Chartier Siben tente de faire et qu’elle tente de nous partager en ces pages.

L’auteure nous raconte trois journées de travail, trois jours de rencontres, de réflexions, de souvenirs de telle ou telle autres histoire de vie que cela vient réveiller. Et ce sont trente années consacrées aux personnes victimes d’abus, notamment dans l’Eglise, qui sont ici condensées en un récit.

Un récit, oui, qui se lirait presque comme un « roman », du coup, mais surtout qui nous permet ainsi d’entendre, qui rend audible l’inaudible, l’impensable, l’innommable – et même l’inimaginable du réel dans lequel ont basculé ces personnes marquées par le traumatisme de l’abus et ce que la mise en mots, pourtant salutaire, vient déclencher. Et l’enjeu est de taille : faire sortir du silence les victimes et la réalité de ce qu’elles vivent. Et nous en faire sortir aussi, car c’est en fait nécessaire et salutaire pour tous, comme elle le racontera si bien autour des p.182-186 quand elle se fait apostropher par une connaissance de la paroisse qui ne comprend pas pourquoi dire autant ou plutôt « étaler » tout cela au grand public et dans les médias.

Comme on peut le lire en 4ème de couverture : « Se succèdent [ici, auprès d’Isabelle Chartier Siben] des hommes et des femmes dont la vie a un jour été brisée ; nous assistons à leurs échanges, ressentons la détresse qui les submerge, recueillons les précieuses étincelles de vie ; et le téléphone qui sonne, cette conférence à préparer... Ces 3 jours offrent une plongée sans équivalent dans la réalité douloureuse et ignorée des victimes où, malgré tout, affleure la lumière. »

Ces pages sont préfacées par Dom Dysmas de Lassus, auteur du livre Risques et dérives de la vie religieuse et prieur général de la Grande Chartreuse. 

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Isabelle Chartier Siben, 3 jours dans la nuit. Carnet d’une victimologue au coeur des abus, éditions Emmanuel, mars 2024, 196 pages, 19€.

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Extrait de l’avant-propos, qui dit bien le but de ce livre :

«  (...) les victimes d’abus, que ces abus soient physiques, sexuels, psychiques ou spirituels, nous font entrer dans un monde à part (...). Ces trois jours se veulent une ouverture  sur ce monde, monde dans lequel la violence n’est pas d’emblée reconnaissable et où pourtant la dignité des personnes est piétinée, bafouée par un individu ou une structure. Un monde de bouleversements qui sont à la fois somatiques, psychologiques, neurobiologiques voire spirituels.

« Ainsi, je ne crois pas qu’il soit possible à qui ne l’a pas vécu d’appréhender la souffrance et les difficultés des personnes victimes d’abus : les pertes de chance sur les plans affectifs, familiaux, professionnels, intellectuels... le vide intérieur, la confusion, les reviviscences, les « temps  de vie perdu », les ruptures d’espoir et d’espérance, la solitude et parfois la folie... Mais un grand pas se fera déjà pour lespersonnes qui ont été touchées en leur âme et en leur chair si leur environnement comprend et accepte de ne pas réussir à concevoir ces abîmes. C’est à cela en particulier que je souhaiterais que mes récits conduisent. Accueillir, même dans l’incompréhension, l’atrocité de ce qui s’est passé et de ce qui se passe encore et des conséquences qui s’ensuivent.

« J’aimerais aussi donner des jalons, des repères à celles et ceux qui ont vécu ou qui vivent des situations sur lesquelles ils ou elles n’ont pas pu encore mettre de nom et qui s’appellent des abus sexuels, abus psychiques, abus spirituels. Qu’ils puissent trouver dans les récits qui suivent un nouvel éclairage à leurs symptômes et des pistes pour évoluer vers un mieux-être » (p.16-17)...

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