Dieu a tant aimé le monde

Dieu a tant aimé le monde

Jean-Marc Aveline, cardinal-archevêque de Marseille, aura été la cheville ouvrière ayant rendu possible la venue du Pape François à Marseille. Il est aussi, avant d’être évêque, un théologien qui mérite notre attention quant à la théologie de la Révélation et une théologie du dialogue interreligieux – deux champs de recherche sur lesquels il enseigna à la faculté de théologie de l’Université catholique de Lyon et à l’Institut supérieur de théologie des religions de Marseille qu’il fonda alors à la demande de l’archevêque de l’époque.

Est-ce un heureux hasard de calendrier ou un bon calcul éditorial, sortait ces dernières semaines ce petit livre fort intéressant que j’aimerais ici vous recommander et vous présenter brièvement.

En ces pages, notre auteur nous offre un petit traité théologique de la mission de l’Église, avec en arrière fond cette question de la place de l’Église en ce monde où sont présentes plusieurs traditions religieuses. 

La mission de l’Église, nous dit Jean-Marc Aveline, sa vocation, « est avant tout d’être au service de l’amour dont Dieu aime son peuple » (p. 43). Et la conviction de notre auteur c’est que 60 ans après le concile Vatican II l’Église doit « approfondir sa compréhension de la mission que Dieu a voulu lui confier » (p. 12).

Concrètement, après un prologue qui explique la genèse de ce texte et qui l’éclaire par le témoignage de vie qui a mené Jean-Marc Aveline a travailler ces questions, notre livre se divise en trois chapitres puis d’un épilogue qui est une bonne reprise conclusive et synthétique de ce qui nous a été présenté et partagé au fil des pages.

C’est en ces pages finales que notre auteur fait allusion au fait qu’il voudrait permettre à des jeunes – par ce livre notamment – de s’emparer de cette question de la mission et en saisir les enjeux, car nous vivons en confrontation à d’autres religions et cela vient forcément ou doit interroger notre compréhension de Dieu et de la mission d’évangélisation à laquelle nous sommes appelés.

Le 1er chapitre parle de ce qui doit sous-tendre toute évangélisation et annonce du salut : la question du dialogue comme rencontre de l’autre et condition au témoignage. Ce que notre auteur appelle le « dialogue du salut » qui va nous convertir, nous évangéliser nous-même, en nous appelant à nous ajuster à l’autre là où il en est pour le rencontrer là, le rencontrer vraiment, et pouvoir cheminer ensemble. Alors le témoignage sera possible ainsi qu’une annonce du salut. Ces pages traitent du fondement spirituel de la mission, de l’attitude spirituelle qui permet de fonder « une théologie dialogale de la mission sur une théologie dialogale de la révélation » (cf  p. 63) – il s’agit de faire comme Dieu, Dieu qui s’est incarné et qui a fait route avec celles et ceux qu’il a rencontrés et qu’il voulait rejoindre.

Vient ensuite une réflexion sur la question de nos racines juives, de cette nécessaire altérité dans la mission à laquelle nous nous trouvons confrontés avec la permanence d’Israël – et le mystère de cette permanence. Ces pages sont sans doute un peu plus difficiles à lire, elles nous obligent à nous décentrer et à prendre un peu de hauteur théologique, c’est moins concret, moins immédiatement lié à ce que nous pouvons vivre dans le quotidien de nos jours. Mais c’est intéressant.

Et ça nous amène ensuite et enfin à une réflexion sur la catholicité de l’Église – pour une plus juste compréhension renouvelée de cette catholicité. On peut notamment y lire : « Pour l’Église, accomplir sa vocation de catholicité, c’est rejoindre l’Esprit du Christ, présent et agissant dans tous les combats que mènent aujourd’hui des hommes et des femmes de bonne volonté, pour que la dignité de toute personne humaine ne soit pas bafouée et pour que l’unité de la famille humaine ne soit pas déchirée » (p. 131-132). La catholicité appelle la fraternité, au nom même du Christ et de ses appels. On retrouve là des accents très bergogliens.

Vous l’aurez compris – et je viens d’y faire allusion –, le cardinal Aveline est proche en sa pensée théologique du pape François, mais très habité aussi des écrits des pape Paul VI et Jean-Paul II que l’on croise fréquemment en ces pages. Avec eux ce sont aussi le cardinal Henri de Lubac qui marque et sous-tend la réflexion de notre auteur ainsi que la figure spirituelle Charles de Foucault.

On ne trouvera pas en ces pages une théologie sacramentaire du salut, notamment la question de savoir s’il faut « convertir » et baptiser l’autre d’une autre religion. Ces questions viennent après, si la personne rencontrée découvre le Christ et veut vivre à sa suite. Nous sommes bien plus ici sur les fondements d’une théologie pratique de la mission, une théologie de la rencontre et du dialogue, fondement à toute évangélisation.

Comme l’écrit le cardinal Aveline : « C’est (…) parce qu’elle est appelée à prendre part à l’œuvre salvifique de Dieu, qui concerne l’humanité tout entière, que l’Église (…) reçoit la mission d’annoncer l’Évangile en se mettant au service de la dispensation de ce mystère, qui est fondamentalement un mystère d’amour : Dieu a tant aimé le monde ! La boussole la plus sûre pour les disciples du Christ appelés à devenir missionnaires, c’est de s’engager à le suivre en se mettant au service de l’amour dont Dieu aime le monde, et ainsi « d’annoncer aux païens l’insondable richesse » de ce mystère christique où convergent, dans la simplicité fraternelle d’une humble vie humaine, la gloire de Dieu et le salut du monde » (p. 53-54).

Je terminerai par là : on trouvera enfin en ces pages une belle réflexion sur la place de l’Esprit saint et son œuvre dans le monde et dans le cœur des hommes, une invitation à interroger notre compréhension de l’Église et sa mission au regard de l’action salvifique libre de Dieu… Un appel à apprendre à discerner les germes de salut présent chez l’autre et dans les différentes cultures et religions, comme le disait déjà en son temps le concile Vatican II mais aussi le pape Jean-Paul II.

Vous l’aurez bien senti je pense, j’ai trouvé cette lecture passionnante et fort stimulante. Certes il faut s’accrocher un peu, mais ça reste quand même assez facile à lire, pas à pas, éventuellement crayon à la main. Et c’est vraiment intéressant ; et capital, je crois !

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Jean-Marc Aveline, Dieu a tant aimé le monde. Petite théologie de la mission, éditions du Cerf, septembre 2023, 159 pages (petit format), 15€.

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Sur ces mêmes questions, mais un peu autrement, il y a aussi cet autre « petit » livre que je recommande toujours…

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